Vendredi 18 mars, à la Bellevilloise de Paris, les Amis de l’Humanité, associés à la fondation Elsa-Triolet-Aragon, organisaient une soirée exceptionnelle consacrée à Edmonde Charles-Roux, disparue en janvier dernier, et qui fut longtemps présidente des Amis et de la fondation.
Ce fut une soirée plus vivante qu’émouvante, tout sauf triste et larmoyante. À l’image de cette grande dame, connue pour ses « fous rires », et dont on a retenu les « moments heureux ». Résistante à vingt ans, elle ne craignait pas, à quatre-vingts, d’avoir « les pieds dans la gadoue de la Fête de l’Huma », comme le rappelèrent des intervenants amusés. L’absence de Jean d’Ormesson, excusé pour raison de santé, comme celle de Bernard Pivot, pris par un engagement, a été compensée par la « présence » d’Edmonde Charles-Roux, lors d’un extrait d’Apostrophes, au cours duquel elle présentait son livre sur l’aventurière Isabelle Eberhardt.
« Elle faisait exploser les étiquettes, les âges, les castes »
Charles Silvestre, vice-président des Amis de l’Humanité et médiateur de la soirée (1), a rappelé « l’affection et la fidélité » avec laquelle elle présida, dix ans durant, les Amis de l’Humanité, s’inquiétant pour la santé financière du journal. L’une de ses proches, Marie Dabadie, secrétaire à l’Académie Goncourt, a témoigné de son caractère inclassable : « Elle en imposait tout en étant ouverte aux autres. C’est François Nourissier qui la poussa à écrire. On connaît la suite : Oubliez Palerme, prix Goncourt en 1966 pour son premier roman. » « Mes vrais amis, ce sont les Amis de l’Humanité », lui a-t-elle confié. Une amitié confirmée par son petit-neveu, Antonio Del Drago, qui était à son chevet, lors de sa mort à 95 ans : « Elle se disait résolument à gauche, au grand dam de son frère, l’abbé Jean Charles-Roux. »
Jean-Paul Escande, vice-président de la Fondation Elsa-Triolet-Aragon, s’est souvenu du couple hors du commun qu’elle formait avec Gaston Defferre, avec qui elle partageait le goût de l’action : « On ne peut pas la comprendre si on ne comprend pas son amour pour Marseille. » La régionale de l’étape, Françoise Nyssen, patronne d’Actes Sud, s’est souvenue de sa présence à toutes les manifestations culturelles organisées dans le grand Sud méridional : « Elle avait son franc-parler. Était à la fois impressionnante et attentive. » Restons à Marseille, avec l’acteur Philippe Caubère, fier de lui avoir fait découvrir André Suarès, avec qui elle conclut, non sans humour, que Marseille « ne sera jamais une ville culturelle ». Olivier Nora, PDG chez Grasset et éditeur, après Bernard Privat et Jean-Claude Fasquelle, a lu quelques-unes de ses lettres : « Elle faisait exploser les étiquettes, les âges, les castes. » Bernard Vasseur, directeur de la Maison Elsa-Triolet-Aragon, se souvient « de son côté commissaire Maigret, lorsqu’elle enquêtait pour un prochain livre. »
Le poète Jean Ristat s’est amusé de sa prétendue « idylle amoureuse avec Aragon, que François Mitterrand voyait surtout en communiste, oubliant le poète de la rue de Varenne ». Ernest Pignon-Ernest, plasticien, a raconté qu’il fut intimidé de lui succéder à la présidence des Amis de l’Humanité : « J’ai toujours trouvé incongru de la voir avec une assiette en carton dans la main, à la Fête de l’Huma… » Régis Debray, philosophe et médiologue, a quant à lui salué la mémoire de celle qui nous a montré qu’on peut « échapper à sa généalogie et dire merde à la sociologie (…). Elle était de gauche au sens où le monde ne s’arrêtait pas au bout de sa propriété. Elle a choisi le “Nous” plébéien sans renoncer à son “moi-je”. » Enfin,Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité, a confirmé que l’existence de l’Humanité était sérieusement menacée : « Edmonde me disait toujours : tu peux m’appeler quand tu veux. On ne peut pas se contenter d’une presse sans âme. »